CARACALLA
Caracalla empereur romain
Un palais.
Scène première
Livia seule
Hier , Caracalla traversait le forum,
Et, les yeux à demi cachés sous son péplum
Il m`a, de ses regards bien longtemps poursuivie.
Ah ! c`est que ma tendresse est son unique envie ;
Et, pour mieux me ravir à mon amant absent,
Il plonge dans les fers un vieillard innocent !
Il poursuit, dans Macrin, le chef de ma famille :
En immolant le père, il ose aimer la fille !
Horreur !...
( Bruit de pas dehors )
Qu`entends-je !...
(Allant au fond.)
O ciel ! c`est lui, c`est mon Géta !
Cet amant que le ciel sur mon chemin jeta !
Geta, qui m`a jeté aux lieux où je végète !...
Courons sur la jetée où mon Geta se jette !
Scène 2
Livia, Géta, un soldat
Le soldat précède Géta et va se placer au fond
Géta, en guerrier, portant un casque démesuré.
C`est vous, chère princesse, enfin je vous revois !
( Montrant le soldat )
Cette vaillante armée, accourue à ma voix,
Triomphe, et des vaincus rapporte les bannières.
Vainement ils s`étaient portés sur nos derrières ;
Nous avons triomphé dans toutes leurs cités,
Par un de ces succès de l`Univers cités,
Et nos soldats vainqueurs, même des inhumaines,
En cueillant des lauriers, recueillent des romaines…
( Après avoir fait quelques pas en tournant )
Mais mon frère est absent…Hier, Caracalla
Sur un cheval fougueux, dit-on, caracola ?
Livia
Eh ! quoi ! Caracalla dis-tu, caracola ?
Géta
Qui caracolerait, sinon Caracalla ?
Livia
Eh ! quoi ! pauvre insensé, tu te fais une idole
De ce Caracalla, parce qu`il caracole !
Sais-tu que de mon père il abrège les jours,
Et que je suis l`objet d`impudiques amours !
Géta
Toi !
Livia
Oui !
Géta
Non !
Livia
Si !
Géta
Mais…
Livia
Quoi ?
Géta
Ciel !
Livia
Hein ?
Géta
Dieux !...lui !...mon…frère !
Ah ! s`il est vrai, Livia, des lauriers de la guerre
Je ne veux plus parer ce noble et large front,
Que les dieux n`ont point fait pour un indigne affront
Je ne serai jamais, non jamais, je m`en vante,
De ces maris qu`aucu—ne injure n`épouvante !
( S`animant )
Plutôt percer ton flanc de ce fer assassin,
Et de ton joli sein, le plonger dans mon sein !
( Très vite )
Pour sauver ta vertu, lorsque je m`évertue,
Abattu, combattu, veux-tu que je te tue ?
Livia
Pas encore…Essayons de quelque autre moyen,
Moins sûr, mais plus adroit.
Géta
Essayons, je veux bien.
Je vais à l`instant même, au palais de Sévère,
Lui parler d`un ton doux, mais d`une voix sévère.
Attends…le trépas seul brisera nos liens.
Je vais, j`attends, je vois, je parle et je reviens.
Suivez-moi, mes soldats.
( Il sort à gauche. Le soldat le suit )
Scène 3
Livia, seule.
Je n`ai plus d`espérance !...
Mais qu`entends-je ? et qui donc en reculant s`avance ?
Grands dieux ! Caracalla suivi de ses licteurs !
( Ici on voit entrer par la droite le même soldat qui va se placer au fond, exactement comme à la seconde scène. )
Scène 4
Livia, Caracalla, Le soldat
Caracalla , à Livia qui s`éloigne
Restez, restez, princesse…et des dieux créateurs
Ne me dérobez pas la plus parfaite image.
Souffrez qu`à leur chef-d`œuvre, ici, je rende hommage
Et qu`à vos deux genoux, le grand Caracalla
Prouve à—Livia—qu`elle a—son â—me et sa…
Livia
Holà !
Caracalla
Voilà !
Livia
Halte-là !...Oui, par la chaste déesse,
Qui bannit de nos cœurs toute folle tendresse,
Respectez ce que Rome entière respecta,
La fille de Macrin, l`épouse de Géta !
Caracalla, éclatant.
Et pourquoi respecter la fille d`un rebelle ?
( Tendrement .)
Je vous respecterais, si vous étiez moins belle.
( Marchant.)
Mais je commande, moi, Marcus, Aurelius,
Antoninus, Rebus, Quibus, Olibrius,
( Revenant à elle.)
Caracalla !...Mon cœur par l`amour se corrode !...
J`étais encore enfant, lorsque régnait Commode.
Il découvrit en moi son émule à venir.
Et tout d`abord, à moi, Commode vint s`ouvrir.
Trouvant à mes projets Commode nécessaire,
De Commode, longtemps je fus le secrétaire.
Cest lui qui nous apprit, sans que nul répliquât,
Que tout cœur de romaine est tendre et délicat.
Il faut que, sans détour, ici, tu te prononces :
Les romaines, jamais ne mâchent leurs réponses.
L`es-tu ?...réponds, j`attends.
Livia
Si je le suis, grands dieux !
Rome a vu, dans ses murs, naître tous mes aîeux.
Mais de Macrin captif, la fille, en étrangère,
Dans ce triste palais, d`étage en étage erre,
Si Macrin t`entendait me parler des Romains,
Il serait comme un crin, ce Macrin, que tu crains !
Tu me parles de Rome !...Oh ! oui je suis romaine
Et je jure haine à Rome !...oui je jure à Rome, haine !
Est-ce en accomplissant tes projets inhumains,
Que tu prétends te faire applaudir des Romains !
Caracalla, arpentant le théâtre et criant.
Lorsque tous les romains envahiraient la salle,
Des romains assemblés je brave la cabale !
Longtemps à m`applaudir ils ont usé leurs mains,
Et je ne prétends plus aux bravos des romains !
Scène 5
Les mêmes, Géta
( Géta paraît et sarrête au fond.)
Livia
De grâce !...écoutez-moi !
Caracalla
Je ne veux rien entendre,
Et tu m`appartiendras !
Géta, le repoussant.
Eh bien ! viens donc la prendre !
( Il la poignarde à plusieurs reprises.)
Livia
Ah !
Caracalla
Morte !
Géta, qui l`a étendue par terre avec soin.
Viens la prendre à la tombe !
Caracalla
A dessein
D`un poignard assassin frapper un si beau sein !
( poignardant Géta )
Infâme !
Géta
Ah !
Caracalla
Meurs aussi !
Géta
Juste ciel ! je succombe !
( Il tombe la face contre terre, les mains étendues.)
Caracalla, fait un geste d`insouciance et va sortir, lorsqu`il se trouve en face de Macrin, et recule avec terreur.
Mais quel est ce fantôme ?...il sort donc de la tombe !...
Macrin ! lui ! se peut-il !...
Scène 6
Les mêmes, Macrin
Macrin
Non, je ne suis pas mort,
Et je sors du tombeau comme un vieillard en sort !
Un pâtre ma sauvé : le peuple, pour t`abattre,
Avait de mon cachot donné la clef au pâtre.
Je te brave à mon tour, et j`ai pour combattants
Trois cent mille romains et deux cent mille francs !
( Montrant Livia )
Voilà plus de quinze ans qu`en en forçant la porte,
Ma fille, en mon cachot, seule à manger m`apporte.
Eh bien ! pour la venger, quand je sors du tombeau,
Le ciel dira gloire au-bourreau de son bourreau !
( Il frappe Caracalla au dos )
Caracalla
Ah ! quel coup je reçois !...le traître ! par derrière,
Il m`a percé le sein !...Déjà ma voix s`altère…
Je ne puis dire un mot, c`est l`instant de parler,
Mon âme, au noir séjour, prête à dégringoler,
Se rappelle, en tremblant, le nombre de ses crimes !
Je suis environné de toutes mes victimes !
Quel Dieu, pour me punir, vient de les rassembler ?...
( Dune voix brisée.---Criant.)
Je ne peux plus parler…Je ne peux plus parler !
C`est toi, Ninus !...c`est toi Varon !...c`est toi tendre Octavie !...
Venez-vous à ce mort redemander la vie ?
Où je vous ai conduits, je vais moi-même aller…
Je ne peux plus parler, je ne peux plus parler !
( Il tombe, puis se remet tout à coup sur son séant.)
Parlons, parlons encor, parlons toujours sur terre !
Parlons comme l`on parle au moment de se taire !
Parlons : car ma parole est prête à s`envoler !
( Il tombe, puis se relève et crie.)
Ah ! je ne parle plus !...Je ne peux plus parler !
Ah !...
( Il meurt.)
Macrin
Le voilà donc mort ! sans espoir de renaître !
Qu`un grand homme est petit, quand il a cessé d`être !
Mais quoi ! tous ils sont morts, et dans cet abandon,
Je survivrais à tous, moi, Macrin !...ma foi non !
( Il se poignarde et tombe. A peine est-il tombé que le soldat, resté jusque-là impassible, s’avance, se tue et tombe au milieu d’eux.
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